Il y a plusieurs années, je suis partie travailler en ONG dans la ville de Pondichéry en Inde. J’y suis allée après le tsunami qui avait dévasté la Thaïlande, le Sri Lanka, l’Indonésie, certaines îles Nicobars et l’Inde.
Mon contrat était prévu pour une année…J’y suis restée 5 ans!!! ( avec quelques retours en France entre temps et en changeant d’ONG et de ville également.)
Je vais donc te parler aujourd’hui de la découverte d’une autre culture dans un contexte d’expatriation et de ses éventuels chocs ou étonnements culturels. Mais j’aborderai aussi la redécouverte de sa propre culture et du contre choc culturel..
Alors l’ouest, c’est par où?
L’ARRIVÉE DANS LE PAYS: LE « CHOC » ou L’ETONNEMENT CULTUREL
Quand tu es expatriée et que tu pars vivre en INDE, on t’a (un peu)rabattu les oreilles avec toutes sortes de réflexions et stéréotypes.
J’ai eu droit au « roh nan mais c’est pauvre mais tu vas voir des gens MORTS sur les trottoirs!!! » (NB: en Inde, on voit peu de gens morts sur les trottoirs comme je l’ai entendu dire mille fois, par contre on voit des hommes ivres qui sont à la limite du coma et qui se sont endormis dans des positions tellement improbables que l’on pense qu’ils sont en effet décédés (#maitreyogi).
Mais aussi des propos de type : « tu vas changer de pays, d’environnement, de culture,ça va te faire drôle, ça va aller???? (sous entendu « moi ça va pas du tout » et je projette sur toi toutes mes angoisses et mes peurs!!!)
Ou encore : « non mais tu vas gérer si tu peux pas manger de BŒUF ? » et aussi » et tu vas apprendre à parler hindou?« (NB : Une bonne fois pour toute: on ne parle pas »l’HINDOU »! On parle l’hindi (et pas partout en Inde) et l' »hindou » est une religion!!)
J’ai eu aussi droit à moults considérations concernant le vin « Mais y a pas de VIN en Inde? Comment tu vas faire?!! »(je n’ai jamais compris pourquoi ça angoissait autant les gens que je n’ai pas de pinard en Inde..comme si j’aimais ça!!)
Puis on m’a verbalisé quelques inquiétudes quant à mes organes : » rohlala mais tu vas chopper la tourista…ou la rage…et l’encéphalite japonaise…ou la lépre! Fais gaffe aux chiens errants (et aux rats errants) »!
Et quelques vieux mythes ont la vie dure: « tu crois qu’il y aura un éléphant dans le jardin de ta maison ? »(> ça, pour de vrai, j’aurai trop kiffé!)
Toutes ces questions sont évidemment rapportées et soutenues par les représentations et préjugés en tout genre de l’inconscient collectif
(Certaines sont avérées hein, je vais pas te cacher que tes intestins « dégustent » (et pas que du masala!) entre la chaleur et la nourriture et que tu n’es pas toujours au top de ta forme.)
Bref,en gros, t’as bien idée que tu vas morfler-ta-mother en déménageant pour vivre à l’autre bout de la planète. Du coup tu consultes des sites et tu lis des bouquins traitant d’expériences et de bons conseils pour être totalement apte à gérer cette nouvelle culture.
Je me demandais si je serai frappée par le fameux « syndrome de fascination indien » où je pourrais potentiellement péter un câble et courir nue en brûlant mon passeport dès mon arrivée à l’aéroport (à ce sujet lire le très bon et explicite livre du psychiatre basé a l’ambassade de Bombay le Docteur Airault, Fou de l’Inde ). Ou si je me transformerai en sadu dreadeux qui fume des pipes de cannabis longues comme le bras. Ou si je déambulerai dans les rues en chantant Hare Krishna et en jetant des fleurs sur la route.
Bon en vrai, je m’étais plus préparée à avoir des troubles intestinaux, à perdre des litres de transpi et à être privée de vin, de mon précieux fromage et de mes petits pains au chocolat.
Bref j’étais prête à un choc physiologique, culturel, physique et psychologique.
En effet mon arrivée ne s’est pas faite sans mal. Le bruit, la chaleur chargée à 90% d’humidité, les odeurs en tout genre, le fait d’être étrangère mais de me sentir « d’ici » ont largement contribué à un sentiment, non pas de choc, mais d’étonnement culturel. Mais je crois que je ne m’attendais vraiment pas à me faire « cueillir » par Mother India en version cocooning, avec cette douceur enveloppante et réconfortante. Les épices m’étaient familiéres et la musique des temples me ramenaient à des sensations passées connues.
Mais je ne te cache pas que les premiers jours ont été bollyrock’n’roll quand même!
Je me souviens de ma première rencontre avec un de nos partenaires local à j+1 (comprendre : après 3 vols, 18 heures de voyage, 5h de décalage horaire et 25 degrés d’écart) où c’est seulement à la fin de notre rendez vous, quand il m’a dit « see you soon »et que j’ai compris qu’il m’avait parlé en anglais pendant 2 heures et que je n’avais rien pipé! Bref les 3 premiers jours ont été…particuliers-chouettes et particulier-complexes à la fois!
Mais très vite je suis tombée sous le charme total de Pondichéry, de ses rues, de la pauvre éléphante gardienne du temple de Ganesh ou encore des palmiers bordant la route sur le trajet Pondichéry-Auroville, que je parcourais tous les jours en scooter.
J’étais libre.
C’était ma lune de miel avec l’Inde, allant de moments de découvertes, du sentiment d’avoir compris quelque chose de ce pays et de sa culture, puis de ressentir à nouveau de la confusion et la sensation que tout m’échappe. Une chose que j’aurai appris en Inde et qui est immuable: c’est qu’avec Mother India rien n’est jamais acquis.
Très (très) vite, je me suis donc dit » Laisse tes repères, lâche le morceau et accueille ce qui se présente. Ce pays ne fonctionne en RIEN à ce que tu connais, abandonnes tes représentations et découvres « .
Car je pense que si tu arrives en Inde avec (trop) de préjugés et trop de rigidité, tu te fais bouffer tout cru et tu peux repartir sur une guibolle avec ton slip sur la tête… un peu comme dans Fou de l’Inde.
Tu l’auras compris, en Inde, c’est marche ou crève, kiffe ou pars, » same same but différent »(> les vrais comprendront!).
Ces 5 ans ont donc été, au dela de l’aspect professionnel, une réelle découverte de l’autre mais surtout de moi.
L’Inde est thérapeutique ,ceci reste une réalité et une vérité selon moi. Elle te confronte à toi même et te fait t’accorder (ou pas)à ton Moi profond.
Donc, comme tu auras pu le comprendre, j’étais bien imbibée des cultures indiennes : je parlais anglais avec un accent tamoul (puis hindi quand j’ai changé d’état), je portais 30 cm de bracelets en verre à chaque bras , je faisais le chaï comme personne (#humblemoi) et je méditais (presque) comme Bouddha! Mon MOI indien cohabitait tellement bien avec mon MOI français ! Je me sentais en totale complétude!
Donc quand il a fallu rentrer au bout de 5 années car mes diverses missions en ONG étaient terminées, j’étais très heureuse de retrouver mon pays, je ne supportais plus le bruit constant de l’environnement et la foule permanente dés que je mettais un pied dehors.
Mais l’ambivalence était présente: j’étais également profondément triste de quitter l’Inde et tous mes amis indiens, de laisser cette vie que je m’étais construite, qui m’avait instruite et tant soignée.
Alors oui ça c’est aussi un paradoxe hein quand on est en Inde: on ressent tout et son contraire a la fois.
C’EST PAR OU L’OUEST??
RETOUR AU PAYS et CONTRE CHOC CULTUREL.
Retour en France après 5ans de vie indienne.
Même si je suis rentrée durant ces 5 années de travail en Inde, je ne faisais que de brefs passages et je n’avais pas le temps de me réintégrer dans ma culture.
On est fin mai, je rentre chez moi!
J’attend deux amis a l’aéroport, une amie indienne qui étudie en France et une amie française.
Elles sont en retard. Je me met à pleurer. Je me sens seule, vide, perdue et abandonnée.
Je vois des gens qui semblent « être comme moi » ou du moins, vivre comme moi mais je ne me reconnais pas. Je regarde les panneaux écrit en français, j’observe les gens et j’écoute du français.
Je regarde ce pays, mon pays, je tente de me remémorer comment ça marche ici. Je n’y arrive pas, ça m’échappe totalement. Je met ça sur le coup de la fatigue et du voyage et des douloureux aurevoirs de la veille. Je me dis que ça va passer.
Premiére nuit en France, je suis à Paris car je dois aller faire un debriefing au siège sociale de l’association. Je trouve la ville (trés) calme (la blague: on est à PARIS!!),les voitures trop bien garées, il n’y a pas de pollution et tout est gris. Les gens sont habillés de mélancolie, ils ne sourient pas. C’est triste. On est presque en juin. C’est la mousson dans mon cœur.
Je ne comprend pas comment les gens conduisent, comment ils se parlent entre eux, je ne comprend pas le manque de lien..en fait je ne comprend plus rien. Je suis une inconnue dans mon propre pays. Plus rien ne me fait envie,même le fromage qui m’avait tant manqué . Ce pays, mon pays, n’a pas de sens, il m’échappe .
Comment vais je faire? Je suis rentrée en France et je n ai qu’une envie c’est repartir…loin. Sans savoir où.
Les jours passent, je revois mes amis, ma famille. Je suis trés heureuse mais effondrée à l’intérieur.
Toute l’Inde m’appelle: une chanson, un tissu, une couleur ou une odeur. A chaque documentaire sur l’Inde, mon cœur se sert, à chaque chanson indienne je me sens dévastée et à chaque film que je regarde, je pleure en silence. C’est une émotion inconnue qui m’envahie. C’est un bout de moi que j’aperçois au loin..
C’est comme si on m’avait arrachée à l’Inde et qu’une partie de moi était restée là bas sans que je ne puisse rien y faire car j’ai été surprise moi même de cette brutalité.
Cette année qui a suivi mon retour a été une vraie quête de sens et de bougeotte : je suis partie 1 mois en Argentine, puis 3 semaines en Thaïlande, j’ai passé les fêtes de noël avec ma famille à New York et en février, je suis repartie en Inde pour un projet dans les bidonvilles avec un ami photographe.
J’ai attaqué une formation en art thérapie car j’avais besoin de me (re)confronter à la réalité de mon travail , du système français en douceur avant de me replonger dans une recherche d’emploi et dans ma pratique professionnelle. L’art thérapie était une évidence puisqu’elle venait compléter ce que je faisais déjà avec mon diplôme et ce que j’avais mis en place dans mes différentes missions indiennes.
Un an et demi plus tard, je travaillais à nouveau dans mon domaine mais dans un contexte plutôt complexe et hardu. Je me suis posée la question de si c’était pour me sentir exister autant que je l’avais vécue en Inde que je choisissais des postes si délicats. Probablement.
Et depuis?….
Il m’a fallu 4 ans pour arrêter de pleurer devant un film indien ou une musique que l’on écoute dans les temples. Encore aujourd’hui, parfois, je sens les larmes monter quand je regarde un documentaire. Le pire pour moi était d’avoir à supporter ce système français fait de cases et de protocoles, de diagnostics enfermant, ce fonctionnement sociétale où il FAUT ETRE comme ci ou comme ça ou faire ci ou çà pour être « normal ».
Quelle place à la subjectivité de chacun? Quelle humanité étais je en train d’affronter?
Je ne dis pas que l’Inde est parfaite, loin de là! Elle a ses défauts comme chaque pays, mais je dois dire que ses qualités ont une place particulière dans mon cœur. Ses défauts sont tout aussi extrêmes et dévastateurs que ses qualités sont enveloppantes et joyeuses.
Je me suis demandée si le fait d’avoir un gros choc culturel jouait sur le contre choc culturel? Ou est ce le fait de justement s’acculturer qui fait que le processus de « deculturation » ne se fait pas sans mal?
Pour ma part, je pense que le grand écart du début, même si je l’ai trés bien vécu, a fait miroir avec le grand écart du retour au pays. Mais en bien pire! Comment peut on imaginer qu’il peut être particulièrement difficile de retourner dans son pays dont on connait la langue, la nourriture, les us et coutumes ou les codes en tout genre ?
Peut être que de fantasmer un pays que je ne connaissais pas a permis de le remplir de mon imaginaire. Je savais que je serai déstabilisée en Inde quoiqu’il arrive, ce qui a, d’une certaine façon, contribué à une surprise culturelle plus qu’un choc!
Jamais je ne me suis dit en rentrant chez moi que je devrais avoir à affronter une réalité connue que je vivrais comme un hors sens total pour moi!
Désormais, je parle de la France en disant que c’est chez moi. Mais dès que je retourne en Inde, je m’y sens chez moi! Je reprend mon accent hindi quand je parle anglais, j’acquiéce en dodelinant de la tête!
Chez moi, je continue à regarder des bollywoods, à cuisiner le byriani, à préparer mon chaï et à feter Diwali. J’ai trouvé un équilibre même si ça ne s’est pas fait san douleur.
Et toi, te sentir étrangé chez toi, ca t’es déjà arrivé?